BOLIVIE: LE PROJET "KHOTUCHAKUNA" (Organisons-nous) de l'association "ATEC" de Potosi

VERSION EN ESPAÑOL

Les rapports que nous adressent nos partenaires sont en général une mine d'informations extraordinaire pour mieux comprendre leur démarche et l'environnement dans lequel ils interviennent. Comme pour le "Coup de Projecteur" consacré au projet des "Mères Adolescentes" de Lima, nous avons extrait du dernier rapport de Vladimir Seborga, directeur d'ATEC, certains passages qui donnent une idée plus précise de l'action menée dans le cadre de "Khotuchakuna", un projet qui se déroule auprès de plusieurs communautés quechuas du canton de Tinguipaya dans la région de Potosi (cf. cartes ci-dessous) depuis deux ans.

RAPPORT DESCRIPTIF

"On peut dire que 98 s'est déroulée sur les mêmes bases que 97, avec d'une part la présence régulière de l'équipe d'ATEC dans les communautés, la confiance gagnée peu à peu, le soutien opportun, et d'autre part l'ouverture des campesinos, qui se rendent compte qu'ils sont eux-mêmes agents de changement.

Le travail a pu être réalisé grâce à l'équipe de terrain formée par les ingénieurs agronomes Miguel Pozo et Edwin Arando, les éducateurs Efrén Bejarano, Adela Torres et Betty Zambrano. De plus, Vincent Nicolas, anthropologue et philosophe d'origine belge, est venu renforcer cette équipe pour la partie "soutien à la formation rurale".

Région de Potosi, canton de Tinguipaya

A cause du phénomène de "El Niño", les communautés de Pisaquiri et de Torabi n'ont rien pu récolter. Une fois de plus, la résistance de ces communautés a été mise à l'épreuve. Les familles ont dû se résigner à tuer les bœufs et à en tirer le meilleur parti possible. Les os sont passés de famille en famille pour faire des bouillons, les hommes ont dû émigrer afin de trouver la nourriture. Malgré tout cela, la foi et la joie ont toujours été présentes et le "Khotuchakuna" en est sorti renforcé."

Les "Tiendas Comunales"("épiceries communautaires"), Les moulins :

ATEC considère ces "tiendas" comme le"bras économique" de la communauté. Dans l'ensemble, les résultats sont encourageants et pour la première fois de leur vie, grâce à l'implantation de ces tiendas, les femmes sont en contact avec la monnaie…

Pour les moulins à grains, ATEC pratique le système du "Cusca-cusca" (moitié-moitié) : il s'agit pour la communauté de réunir les fonds nécessaires. Dans le cas de Torabi, il a fallu mettre l'argent de côté, sou après sou, de février à novembre 98. Un vrai défi, mais aussi un appel à la responsabilité de chacun des membres de ces communautés.

Les pépinières, le reboisement, les protections contre les crues :

La production de plants, même à petite échelle a permis d'initier le processus de changement de mentalité et d'attitude dans les communautés. La pratique démontre aux "communautaires" que ce que l'on produit dans la pépinière aide à résoudre bien des problèmes : récupération de terres et protection de terres situées en bordure de rivières, contrôle de l'érosion, amélioration des pâturages.

Talula et Itinocka ont reboisé 50 ha. L'ambassade de France en Bolivie a débloqué environ 20.000 FF pour permettre l'achat des 2500 m de fil de fer barbelé nécessaires à la clôture du terrain reboisé d'Itinocka.

En ce qui concerne les protections contre les crues, ATEC a procédé selon le mode de la "démonstration grandeur nature" : un voyage d'échanges d'expériences entre campesinos a été organisé pour permettre aux paysans de Talula de se rendre dans la communauté de Chosconti, dans le Sud de la province et de voir une "protection vive", c'est-à-dire réalisée à base de pieux de saules, de branches, de pierres et de fil de fer.

La formation rurale :

Sans doute l'un des aspects les plus importants de ce programme de développement intégral qu'est "Khotuchakuna". Vladimir indique que ce projet a provoqué des changements violents dans les communautés. Au début, par manque de confiance en eux-mêmes, les jeunes ne voulaient pas se lancer. Ils se sont vite rendu compte qu'ils étaient parfaitement capables de fabriquer des objets de leurs propres mains. Cela a suscité une envie extraordinaire d'apprendre. Les jeunes qui sont passés par cette formation savent maintenant qu'ils "valent quelque chose", qu'ils peuvent être utiles à leur communauté, que la communauté peut aussi prendre leurs remarques ou suggestions en compte.

Trois "ateliers" ont fonctionné : la fabrication de sandales, la fabrication de "pasancallas" (maïs soufflé, type "pop-corn") et la fabrication de chapeaux. Il s'agit désormais de consolider les acquis, mais d'après ATEC, c'est en bonne voie et "la mentalité fataliste a disparu".

APPROCHE METHODOLOGIQUE :

Pour ATEC, il est important d'évaluer les résultats obtenus et d'essayer de les systématiser pour avancer plus méthodiquement. Dans cette deuxième partie de rapport, Vladimir souhaite surtout nous faire partager ce qui est entrain de se passer dans les communautés grâce à notre soutien.

Premier constat : un bon projet n'est pas nécessairement un grand projet en termes financiers, c'est un projet adapté aux besoins de la communauté, un projet qu'elle peut elle-même prendre en charge.

Le point de départ de l'action d'ATEC c'est avant tout admettre que les communautés auprès desquelles on intervient représentent un modèle de société totalement différent du nôtre. En même temps qu'on agit en termes de développement, il faut aussi renforcer l'identité de la communauté, ses spécificités, sa culture, pour mieux préparer les campesinos à la confrontation avec le système dominant, pour qu'ils soient dignes, fiers de leur identité culturelle, qu'ils puissent peu à peu sortir de leur condition "d'infra-peón" (NdT : le peón se trouve tout en bas de l'échelle sociale).

Autre volet de l'approche méthodologique d'ATEC : analyser quelles forces positives ou négatives (résistances au changement) sont à l'œuvre dans les communautés. La présence d'ATEC dans les communautés a provoqué des changements notoires : certains leaders traditionnels ont dû céder la place à de nouveaux responsables, ce qui ne s'est pas fait facilement…Les anciens admettent difficilement la participation des jeunes lors des réunions. Les femmes sont de plus en plus partie prenante dans le développement de leurs communautés.

Ce qui a vraiment changé :

· Les communautés sont plus ouvertes les unes aux autres, du fait des rencontres et réunions organisées par ATEC,

· Le maraîchage s'est implanté de manière durable dans les communautés et les légumes font désormais partie de l'alimentation des campesinos,

· Le désir très fort d'apprendre, de s'ouvrir au changement,

· La capacité des "autoridades" ("autorités de la communauté") d'aller négocier avec d'autres institutions ou organismes pour obtenir des aides (nourriture, ciment, matériel…)

· Lors des réunions entre ATEC et les communautés, les campesinos - hommes et femmes - s'expriment beaucoup plus librement ; les discussions sont serrées. Les demandes sont plus ciblées, on essaye de fixer les priorités, de se mettre d'accord sur les modalités de financement ("cusca-cusca").

· Le travail réalisé en collaboration avec ATEC a renforcé la confiance des campesinos en eux-mêmes : ils parlent, demandent, réfléchissent.

· Les activités menées peuvent être reproduites par les campesinos eux-mêmes.

Il reste cependant à réfléchir sur certains points particuliers :

· Voir comment les femmes ont changé et évolué dans les communautés,

· Voir comment on peut accorder plus de temps à des communautés qui ont rejoint le programme "Khotuchakuna" récemment,

· Voir si ATEC peut intervenir dans des communautés voisines : faut-il élargir la sphère d'action ?

Dans tous les cas, ainsi que le souligne Vincent Nicolas, il s'agit d'un travail qui requiert beaucoup de patience car il s'effectue au rythme des communautés.

Le 3 octobre 1998, ATEC organisait à Potosi une première exposition artisanale avec les jeunes indiens ayant bénéficié de la formation aux métiers de fabricants de sandales et de chapeaux. Sur le programme, on pouvait lire ceci : "Nous venons des communautés d'Anckara, Itinocka et Pisaquiri du canton de Tinguipaya. L'agriculture et l'élevage ne nous permettent pas de vivre et c'est pourquoi tous les hommes de nos communautés vont à la ville pour y travailler comme portefaix ou comme coupeurs de canne à sucre à Santa Cruz. Mais ces travaux ne nous conviennent pas, car souvent on nous maltraite.

Avec le soutien d'ATEC, nous sommes devenus artisans : nous fabriquons des sandales et des chapeaux. Pour la première fois, nous sentons que notre avenir nous appartient et nous savons que nous pouvons gagner notre pain dignement pour nos familles et nos communautés.

Si vous achetez un chapeau ou une paire de sandales, cela nous permettra :

· De ne pas abandonner nos familles

· De gagner ce qu'il faut pour couvrir nos besoins les plus urgents

· De faire en sorte que les gens de la ville reconnaissent que nous sommes capables d'occuper un emploi plus digne que celui de portefaix.

Merci de votre soutien.