PÉROU - La démocratie en question à l’approche des élections

Géraldine Duquenne

jeudi 22 octobre 2015, mis en ligne par colaborador@s extern@s

En avril 2016 auront lieu les prochaines élections présidentielles au Pérou. L’occasion de s’arrêter sur le mandat d’Ollanta Humala, le candidat qui avait largement séduit la population en prônant une croissance au bénéfice de tous en 2011. Voyons si, 4 ans après, le gouvernement Humala, fort soutenu au niveau international, est resté fidèle à ses objectifs de départ.

En 2011, Ollanta Humala, candidat du parti nationaliste, était élu président sur base de nombreuses promesses. À l’époque, il prétendait constituer un gouvernement de concertation national, représentatif de l’ensemble des forces démocratiques et ouvert à la société civile. Il s’engageait à construire un Pérou moins inégal et plus juste à travers une croissance économique qui bénéficie à tous. Sur la liberté d’expression, il disait que le meilleur message pour la liberté d’expression est de ne pas lui mettre de conditions. Il se présentait comme l’alternative démocratique, le promoteur de la Grande Transformation.

Le point sur la consultation préalable

Affirmant qu’une plus grande concertation avec les populations pourrait faciliter les investissements miniers et pétroliers, Humala fit promulguer en 2011 la loi sur la consultation préalable, libre et informée sur les projets susceptibles d’affecter les populations indiennes. Cette avancée fut largement applaudie et représenta un signe d’espoir pour nombre de communautés au destin modifié ou menacé par des exploitations à grande échelle.

Quatre ans plus tard, l’application de cette loi est encore bien imparfaite. Si environ 15 processus de consultation ont été initiés jusqu’à aujourd’hui, la plupart n’ont pas respecté les standards de la Convention 169 de l’OIT (Organisation internationale du travail), surtout au niveau des informations mises à disposition. En effet, les consultations s’organisent avant même que les études d’impact soient réalisées, rendant compliquée l’évaluation des conséquences des projets sur les populations. De plus, le gouvernement semble organiser les consultations en fonction de son bon vouloir et des projets concernés, arguant dans certains cas l’importance de l’accélération des investissements du secteur privé. En 2013, le Premier Ministre Juan Jímenez indiquait ainsi que 14 projets d’exploration minière ne requéraient pas de consultation. Enfin, la définition des « populations indiennes » ayant droit à une consultation est restrictive, étant considérées comme indiennes des populations reculées et peu modernisées, excluant de la sorte les communautés de la région andine.

Le cas médiatisé de la consultation du Lote 192 récemment achevée est venu confirmer cette désillusion. Jugé hautement positif par les autorités, le résultat n’a pas trouvé l’adhésion des fédérations s impliquées dans le processus. La consultation portait sur la poursuite des opérations de Perupetro en territoire amazonien pour les 30 prochaines années et l’octroi de compensations aux populations affectées par 40 ans d’exploitation pétrolière. Au terme du processus, l’accord fut obtenu grâce à l’approbation de 2 organisations intégrées aux négociations en dernière minute. Aujourd’hui, les fédérations se mobilisent et veulent reprendre le dialogue.

Défenseurs des droits de l’homme en danger

Le mépris des revendications des populations engendre bien souvent leur vif mécontentement. Les citoyens lésés, bien souvent par des décisions menaçant leur accès à la terre et à ses ressources, trouvent d’autres moyens pour se faire entendre et défendre leurs droits. Dans ce climat de tensions, l’on déplore ainsi 250 morts et 3600 blessés dans des conflits sociaux entre 2006 et 2014. Ce niveau de violence peut s’expliquer par les attentes frustrées des populations et les choix erronés de modes d’intervention de la part de l’État. Ce dernier recoure en effet à la répression et à l’instrumentalisation du droit pénal, cela afin de décourager la contestation sociale. De cette manière, l’État criminalise, c’est-à-dire, disqualifie et délégitime tout action légale de protestation qui s’oppose à sa politique. Pour renforcer cette tendance, le gouvernement d’Humala a fait approuver une série de lois qui flexibilisent les enquêtes fiscales et les procédures judiciaires. Aujourd’hui au Pérou, le mot « délit » a un sens élargi et entraîne bien souvent une sur-pénalisation. La détention arbitraire des personnes sans mandat judiciaire est, par exemple, légale et courante.

Dans cette même ligne, la loi 30151 adoptée en 2014 qui exempte de responsabilité pénale les policiers et militaires causant des lésions ou la mort dans l’exercice de leurs fonctions a suscité des réactions de la part d’organismes internationaux de défense des droits humains comme la Commission inter-américaine des droits humains (CIDH) et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations-Unies pour l’Amérique latine.

Défendre ses droits au Pérou n’est donc pas une entreprise sans risques. La CIDH en est consciente et a exhorté à plusieurs reprises l’État péruvien à prendre des mesures préventives de protection des défenseurs des droits de l’homme, en vain.

Une société civile dénigrée

Le contre-pouvoir que représente la société civile dans un État démocratique est capital. Pourtant, au Pérou, la situation de la société civile est loin d’être évidente. En atteste la feuille de route de l’Union européenne pour l’engagement avec la société civile dans les pays partenaires de 2014 à 2017. Celle-ci fait état de la criminalisation vécue par la société civile et des campagnes de diffamation et de désinformation menées par les médias. Elle souligne également le manque de soutien de l’État envers les associations de défense des droits humains.

Les initiateurs de telles campagnes médiatiques jouent sur la mémoire collective péruvienne pour attaquer les opposants pacifiques à l’État. Ainsi Hernando de Soto, économiste libéral péruvien médiatisé, déclarait au journal Le Commerce que la plupart des détracteurs des projets miniers étaient des terroristes du Sentier lumineux et autres groupuscules, protagonistes du terrible conflit armé des années 80. En affirmant de telles absurdités, l’économiste renforce le sentiment d’adversité à l’égard de la contestation sociale.

Les organisations de la société civile déplorent aussi les contrôles incessants et difficultés administratives auxquels elles font face. De plus, les ONG sont majoritairement dépendantes de l’aide internationale qui se réduit toujours plus. Si l’on constate que les aides publiques et privées sont en hausse au Pérou, il faut néanmoins veiller à l’autonomie que ces financements peuvent menacer.

Avec l’assentiment de l’Union européenne

À travers l’accord de libre-échange signé en 2012, l’Union européenne et le Pérou ont pris des engagements, notamment en ce qui concerne le respect des droits humains et la promotion du développement durable. Un sous-comité de contrôle et d’évaluation s’est constitué sur chaque chapitre de l’accord. Dans le sous-comité du chapitre « commerce et développement durable », chaque partie a dû constituer un groupe d’observation issu de la société civile. Jusqu’à présent, le Pérou n’a pas avancé sur ce point et semble récalcitrant. Pourtant le Pérou reçoit des millions d’euros pour l’implémentation de l’accord de la part de la Commission européenne. Ainsi, lors de la réunion commune des groupes consultatifs qui s’est déroulée fin juin 2015 à Bogotá, aucun représentant de la société civile péruvienne n’était présent.

Parallèlement à l’accord, le Parlement européen a exigé du Pérou la rédaction d’une feuille de route sur les droits du travail, de l’environnement et les droits de l’homme. Face aux manquements évidents du « strict respect et de la protection des droits humains » et de la « résolution des conflits sociaux à travers le dialogue et la concertation … » tel que démontré plus haut, que fait l’Union européenne ? Quelles sont les mesures prévues en cas de non-respect de l’accord ? Quels organismes de contrôle et d’évaluation existent sur ces points ?

Justice et Paix et les organisations de la société civile péruvienne et européenne s’inquiètent du respect des principes démocratiques au Pérou tel que l’indique la Déclaration du forum de la société civile UE-CELAC de mars 2015. Ces inquiétudes, nous les soulevons lors de nos rencontres avec des responsables politiques belges et européens en présence de nos partenaires péruviens et exigeons des réponses claires sur les mécanismes mis en place pour assurer un meilleur respect des droits humains. À l’approche de la fin de la coopération belge au Pérou (cfr encadré), il est d’autant plus essentiel de se préoccuper de ces questions et de tout mettre en œuvre pour que le gouvernement péruvien reconnaisse la société civile comme un acteur incontournable et crée un climat favorable et respectueux des droits humains. Nous, citoyens, devons rester attentifs et dénoncer la répression trop fréquente envers les défenseurs des droits humains péruviens tout en incitant l’Union européenne, partenaire privilégié du Pérou, à se positionner clairement.

La Belgique a décidé de mettre un terme à la coopération gouvernementale avec le Pérou et 5 autres pays. Le Pérou étant devenu, selon les critères de la Banque Mondiale, un pays à revenus intermédiaires, la Belgique considère que les relations entre les deux pays doivent évoluer. Celles-ci seront davantage axées sur des critères commerciaux et économiques, laissant notamment une plus large place aux initiatives privées.


Géraldine Duquenne est membre de la Commission Justice et Paix (Belgique).