PÉROU - La gauche propose « des voix pour changer le Pérou »

José Toledano Alcalde

mercredi 20 février 2019, mis en ligne par Françoise Couëdel

27 janvier 2019.

Le 26 janvier, dans la ville de Huancayo, Vallée de Mantaro, dans la zone centrale du Pérou, s’est déroulé, fait historique, la Rencontre des organisations de gauche « Voix du changement » à laquelle ont participé des organisations telles que Pérou libre, MAS démocratie, le mouvement Nouveau Pérou, le Parti communiste péruvien, le Front d’intégration régionale (FIRME) et le mouvement Puno ma région. Des organisations politiques qui se sont donné comme objectif de lancer un dialogue afin d’élaborer un « projet démocratique, populaire et citoyen qui offre au pays une alternative politique et une issue démocratique et constituante à la crise actuelle » [1].

Dans la conjoncture actuelle de crise profonde que traverse le Pérou, la rencontre des gauches se présente comme l’unique alternative viable pour lutter contre le modèle néolibéral. Une scandaleuse machinerie néocoloniale en situation d’échec ; un laboratoire politique déstabilisateur et transgresseur de la souveraineté, de l’indépendance nationale et de la libre détermination autant que du respect des Droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels des peuples indiens. Le paradoxe est que, au Pérou, le pouvoir de contrôle et de domination s’exerce en se conformant à la jurisprudence constitutionnelle, selon la constitution de 1993 ; dès lors, tous les gouvernements successifs se sont mis au service des groupes de pouvoir nationaux et étrangers, légitimant l’institutionnalisation de la corruption, au nom de la « défense de l’ordre institutionnel », ce qui a ouvert la voie à la spoliation, et aux infractions systématiques (Odebrecht et bien d’autres encore). [2].

La rencontre des organisations de gauche « Voix du changement » a finalement lancé le cri historique des peuples exclus du Pérou, en assumant la refondation de la république comme voie inévitable du commencement de tout changement structurel : il s’agit de tourner la page, non pas de 200 années mais bien de 495 années de duperie, de spoliation, d’impunité et de génocide (1524-2019). « La constitution de 1993 a joué un rôle structurant du modèle économique qui a favorisé le surgissement de crises successives de caractère systémique, moral et étique. Dans ce panorama de chaos, l’élaboration d’une nouvelle constitution est urgente ; un processus qui naisse de la base et de la citoyenneté et qui se fasse l’écho des aspirations et des rêves des classes populaires de changer le pays. Le moment constituant dans lequel nous nous trouvons exige la participation des forces de gauche et progressistes pour inaugurer une nouvelle république de citoyens et de travailleurs ».

Partant de l’élaboration nécessaire de l’acte de naissance du Nouveau Pérou, la nouvelle république, avec des êtres dignes et souverains, la rencontre des organisations de gauche « Voix du changement », propose d’orienter la politique de l’État dans le but d’« effacer les inégalités, de permettre une vie digne, de récupérer la souveraineté sur nos ressources, de développer l’agriculture, l’économie paysanne, la sécurité alimentaire, de défendre les droits humains, la liberté d’expression, l’égalité de genre, l’autodétermination des peuples, d’ éradiquer la corruption et l’impunité, en résumé de vaincre le néolibéralisme ».

Un autre objectif important de la rencontre des organisations de gauche « Voix du changement » a été de se transcender. Les gauches réunies dans la fertile et historique Vallée du Mantaro ont su dépasser l’aspect dogmatique et sectaire, historiquement attribué aux mouvements de gauche. Les « Voix du changement » ont exprimé clairement leur désir de faire date dans l’histoire, en traduisant les vrais sentiments du peuple libéré de la tromperie, de la spoliation et de la trahison. « Ce processus s’élaborera sur la base du respect et de la confiance mutuelle, la tolérance, l’exercice de la parité et de l’alternance, en entendant l’unité de la façon la plus large possible, c’est-à-dire au-delà de la gauche, en collaborant avec les organisations sociales, les secteurs populaires, les secteurs progressistes, et patriotiques, les mouvements décentralisateurs, andin et amazonien, les secteurs des femmes, les secteurs productifs, agraires et d’autres secteurs de la citoyenneté parmi lesquels les jeunes, les mouvements pour la diversité. »

Cette rencontre historique d’unité au sein de la diversité, de profond sentiment démocratique, civique et patriotique, a reconnu le rôle fondamental du mouvement citoyen indigné. Le manifeste « Voix pour changer le Pérou », au-delà d’être une déclaration réfléchie de principe, au profil idéologique, devient la plateforme de rencontre et de construction d’espoir de la citoyenneté du bien vivre (Sumaq Kawsay), [3] dans la paix, la tolérance et la justice sociale.

Cette rencontre a énoncé, comme déclaration de principe, la reconnaissance des ennemis de la patrie désignés par leurs noms et prénoms : « après la chute de PKK, Pedro Pablo Kuczynski Godard [4] et l’arrivée de Vizcarra au gouvernement, la corruption est devenue flagrante ; elle est le fait du fujimorisme, de l’aprisme et des lobbys mafieux réunis au sein de la CONFIEP [5] qui ont confisqué l’État ; mais aussi du suivisme néolibéral qu’incarne le gouvernement actuel en aggravant encore davantage la flexibilité de l’emploi, en tentant d’imposer des projets extractivistes, de livrer nos ressources naturelles et énergétiques, en retirant la compétence aux gouvernements décentralisés, en perpétuant un mode contributif favorable aux grandes entreprises et en permettant que des femmes continuent à mourir, victimes du féminicide. »

Ceux qui étaient présents à cette réunion, ont assumé la responsabilité de débattre, de systématiser et d’organiser les lignes politiques en regardant en face – sans s’en détourner – les angoisses et les espoirs d’un « Pérou profond » et de « tous les sangs » [6], trahi et décimé au fil de l’histoire. C’est ainsi que ce premier pas dans la quête de l’unité au sein de la diversité, des gauches péruviennes, se transforme en une plateforme encourageante de participation citoyenne où aucun segment de la société ne devrait être oublié. Le grand défi historique est de rompre avec les modèles criminels de gouvernabilité, en misant sur la décence comme allié inconditionnel, en chassant sans hésitation tout type d’opportunisme, de népotisme, de favoritisme, de copinage, et autres vices corrupteurs, ceux qui ont plongé le Pérou dans la plus infâme période de sa vie, tant coloniale que républicaine. Pour le Nouveau Pérou de femmes et d’hommes nouveaux, la Rencontre des organisations de gauche « Voix du changement » a conclu son manifeste en lançant « un appel à tout le peuple péruvien à changer l’histoire, à s’organiser et se mobiliser contre la corruption, l’impunité, en défense des droits du travail et des citoyens ».


José Toledo Alcalde est titulaire d’une licence en théologie et d’un master de thérapie physique.

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/197800.



[1] « Manifeste de Huancayo ». Voces para cambiar el Perú, 26 janvier 2019.

[2] Odebrecht est une entreprise brésilienne qui intervient dans la construction, la pétrochimie, la défense et la technologie, le transport et la logistique, le carburant et d’autres secteurs – NdT.

[3] Le « Sumak kawsay » en quechua, ou « Suma Qamaña », en aymara, en Bolivie est le principe d’une relation harmonieuse entre être humain et nature, d’une vie communautaire faite d’entraide, de production collective et de distribution équitable des richesses aux membres de la communauté – NdT.

[4] Président de la République du Pérou de 2016 à 2018 – NdT.

[5] Confédération nationale des institutions des entrepreneurs privés – NdT.

[6] En référence au roman de José Maria Arguedas, Todas las sangres, 1964 – NdT.